12 cas : une série surprenante

12 cas : une série surprenante

Il y a quelques semaines, j'annonçais mon post sur la critique de 12 CAS, cette série produite et réalisée par Blaise Ntedju, alias Blaise Option. Mais comme ce ne fut pas le cas pour LA BATAILLE DES CHERIES sur lequel je m'étais prononçé juste après 4 episodes, j'ai voulu regarder toute la série avant de dire ce que j'en pense. Ce n'est pas parce que j'estime avoir commis une erreur avec la série citée plus haut. Remarquez que dans les festivals, le jury ne regarde pas tous les épisodes d'une série avant de se prononcer. C'est simplement parce que 12 CAS est une série particulière et c'est ça qui fait tout son charme.

12 CAS, ce sont 12 histoires différentes qui se déroulent dans la ville de Douala (avec quelques déplacements à Yaoundé, Bafoussam et autres villages). Mais ces histoires ont un point commun au départ : ce sont 12 personnes victimes de viol (directement ou indirectement) qui se rencontrent pour parler de leur expérience et de leur traumatisme. Le tout est si bien mené qu'on a vraiment l'impression que ces personnes sont dans la salle du début à la fin des 12 cas.

Avant de vous dire ce que je pense de 12 cas, je voudrais revenir sur les incidents qui se sont produits après mon post sur LA BATAILLE DES CHERIES pour dire une chose: L'intention d'une critique n'est pas de nuire ou de plaire à qui que ce soit. C'est simplement une façon de dire ce qu'on pense d'une oeuvre qui a capté notre regard, sans pour autant chercher à heurter qui que ce soit. C'est ce que j'essaye de faire. Malheureusement, il y a deux problèmes. Le premier est que dans l'esprit du milieu cinématographique camerounais, toute critique faite publiquement est une atteinte à la personnalité de l'auteur de l'oeuvre. La critique lorsqu'elle est publique, doit se pencher uniquement sur les aspects positifs de l'oeuvre. Je vous surprendrai peut-être si je vous dis que je suis d'accord avec ça. Surtout lorsque vous connaissez l'auteur à qui vous auriez pu adresser votre critique directement.

Mais pour qu'on se comprenne, je voudrais qu'on soit d'accord sur la définition de la critique au cinéma et son but dans le développement de l'industrie. A partir du moment où vous comprenez cela, vous comprenez également pourquoi dans les pays où l'industrie cinématographique est plus avancée que la nôtre, les producteurs (ou réalisateurs) prennent la peine d'organiser des séances critiques avant toute sortie. Celui qui par la suite viendra mal parler de votre film alors qu'il aurait pu le faire avant sa sortie, pourra, à raison, être traité de tous les noms. Malheureusement, on ne nous laisse pas trop le choix au Cameroun, nous qui nous battons depuis des années pour faire évoluer le cinéma camerounais. Nous avons envie de dire ce que nous en pensons et attirer l'attention de tous les participants à la production sur les manquements et bien entendu, les féliciter quand il le faut. Mais les producteurs ne nous en donnent pas l'occasion. Vous me direz peut-être que parfois, il y a des impératifs de temps. Et moi je vous répondrai que s'ils accordaient de l'importance à cette étape de la production, ils trouveraient du temps pour le faire. Personnellement, j'ai toujours organisé les séances critiques de mes films et j'ai prié pour que mes collègues me disent toujours sincèrement ce qu'ils en pensent.

Le second problème est que dans l'esprit du camerounais lambda, lorsqu'il apprécie quelque chose, tu dois en faire autant. Sinon, tu deviens celui qui dérange, qui est jaloux, qui ne peut pas faire mieux, etc... Que cela vienne des cinéphiles ne me dérange pas. Mais que des cinéastes se mettent à vous insulter bassement parce que vous avez osé critiquer le padre, le pacho, le père, le number one... est pour le moins décevant. Bien que j'ai une certaine admiration pour le travail du Dr Narcisse Wandji et de Franck Lea Malle, j'ai été grandement déçu par leur attitude sur les réseaux sociaux face à des personnes avec lesquelles ils n'étaient pas d'accord. Et j'en fais parti. Si j'étais le genre de personne à répondre aux insultes et aux provocations, ce serait avec eux une guerre ouverte aujourd'hui. Mais cela ne nous avancerait à rien et j'estime même que nous y perdrions tous beaucoup parce que je pense sincèrement que, bien qu'ils soient plus jeunes que moi (autant en âge que dans le métier), j'ai beaucoup de choses à apprendre d'eux. Et eux de moi... s'ils le veulent.

Cela dit et pour revenir à 12 CAS, je vais commencer par planter le décors en apportant une précision : ma critique ne portera pas sur les aspects techniques parce que je pense sincèrement que Blaise Option et toute sa jeune équipe ont dépassé cela. Ils ont maitrisé les questions de l'image, du son et de la réalisation. C'est vrai que si on cherche noise, on pourrait remarquer par exemple dans le cas 8 que, Caroline (Tatiana Bayiha) est supposée être au Mexique mais on voit clairement (16 minutes 55 secondes de l'épisode 6) que les draps de son lit sont marqués Kemal Hotel à Douala. Si on cherche noise, on pourrait remarquer également que dans sa quête du bling bling, le producteur alloue au plombier dans le cas 12, un appartement qui pourrait coûter dans la ville de Douala entre 120 et et 150 000 frs par mois (29ème minute). Si on cherche noise, on pourrait remarquer que Ferdinand Singo joue le père d'Axel dans le cas 6 et en même temps le marabout dans le cas 10. On pourrait également parler d'Alex Kembou qui joue M. Ngansom dans le cas 6 et Christophe dans le cas 8. Mais rien ne prouve dans l'évolution de l'histoire que ce n'est pas la même personne. Si on cherche noise, on pourrait remarquer plusieurs autres détails de ce genre. Mais passons outre tout cela (parce que même dans les plus grandes productions hollywoodiennes ça peut arriver) et penchons-nous sur ce qui à mon avis mérite qu'on s'y intéresse : les aspects créatifs et artistiques.

D'abord, le scénario.
Sans aucun doute, tous les 12 cas sont très captivants. Mais il y en a qui le sont moins que les autres. Dans certains cas comme le 7 par exemple, Nathalie est violée pratiquement à la fin de l'histoire et on pourrait se demander quel en était l'intérêt puisque par la suite, cela n'apporte plus grand-chose à l'histoire. On pourrait aussi parler du cas 6 dans lequel non seulement le viol n'avait pas sa place, mais aussi le fait que Lauraine le prend avec trop de légèreté. Un peu comme si ça l'arrangeait pour justifier sa séparation avec son patron. Le pire selon moi c'est dans ce cas 3 où le père (joué par Eric Djeumi) viole sa fille (Hornela jouée par Flora Kingue) et est prêt à recommencer parce qu'il y a prit goût. Franchement, à moins qu'un homme ne soit mentalement dérangé, j'ai envie de dire qu'un tel homme n'existe dans aucune société au monde et je crains bien que traiter un tel sujet de cette façon ne fasse plus de mal que de bien à la société; car n'importe quel fille de cet âge qui regarderait ce cas pourrait commencer à se méfier de son père. Il a donc manqué à ce cas une chose essentielle : Il aurait fallu laisser croire que le père a voulu recommencer le viol parce qu'il y a été obligé par la secte, au prix de sa vie ou plus encore, celle de son enfant.
A part ces quelques détails, j'adresse un grand bravo à Bétel Petho , le scénariste qui prouvent ainsi, s'il le fallait encore, qu'il y a énormément de talents cachés au Cameroun. J'ai été particulièrement bluffé par le cas 8 dans lequel les jumelles se retrouvent après plus de 20 ans de séparation. Ou encore par le cas 5 dans lequel on retrouve un Roger Brice Sobgo ROS impérial (comme toujours) qui joue deux personnages avec deux personnalités différentes.

La seule chose que je pourrais éventuellement déplorer, c'est le sujet en lui-même qui tourne autour du viol. On y avait été habitué avec les productions en zone anglophone et personnellement, cela m'avait toujours choqué. Je me souviens que lors d'une édition du FICOD (anciennement appelé LA NUIT DU COURT MÉTRAGE, festival dont le promoteur était Michel KUATE Cinéaste ) pendant laquelle j'étais membre du jury, un des films qui nous avait été soumis (Damaru de Agbor Obed) traitait de ce sujet. Nous, membres du jury avions discuté longtemps de la question avant d'attribuer la mort dans l'âme, le prix à un autre film que Damaru qui se démarquait pourtant des autres. Ce qui nous avait choqué c'était la façon dont le viol de Damaru (Krista Eka) avait été présenté.

Autre chose qui me dérange aussi avec 12 cas est le fait que, dans un pays aussi culturellement riche que le nôtre, lorsqu'on a les moyens de produire, se lancer dans ce genre c'est un peu manquer d'imagination ou d'ambition. Bien sûr, le cinéma a pour premier rôle de distraire et Blaise Option et son équipe y arrivent si bien. Mais au délà de ça, nous devrions tenir compte du fait que nous sommes dans une société africaine en pleine construction ou en pleine reconstruction, dont l'histoire est si riches en intrigues magnifiques qui pourraient très bien être adaptées au cinéma et rivaliser avec les plus grands films au monde. Au lieu de cela, nous laissons toujours le soin aux autres de venir raconter nos histoires. Regardez Chaka zulu, The woman king ou encore black panther. ce sont autant de films que nous sommes techniquement capables de faire aujourd'hui. Au délà des histoires liées à notre passé, on pourrait trouver des sujets suffisamment intéressants dans nos traditions et notre culture sociale.

Mais ceci n'est que mon avis et Blaise Option est mieux placé que moi pour savoir pourquoi il a préféré se pencher sur ce sujet.
S'il fallait faire un classement des meilleurs cas selon mon regard, ce serait :
1- Cas 8, Mon malheur - 17/20
2- Cas 10, jeu de pouvoir - 16/20
3- Cas 11, Esprit criminel - 15/20
4- Cas 1, Femme sadique - 15/20
5- Cas 9, Sans honneur - 15/20
6- Cas 4, Coupable - 14/20
7- Cas 5, Coeur de lion - 14/20
8- Cas 7, Chaste prise - 13/20
9- Cas 2, Sous l'emprise - 13/20
10- Cas 6, Présumé innocent - 12/20
11- Cas 12, Secret mortel - 12/20
12- Cas 3, Le monstre - 11/20

Ensuite, le jeu d'acteur
Faire une telle série vous expose au risque de prendre les acteurs partout et nul part pour combler les vides, chaque cas demandant de nouveaux personnages. Blaise Option n'a pas fauté à ce niveau. Il a su chaque fois choisir les acteurs qu'il fallait pour les personnages appropriés. Bien sûr il y ai des acteurs qui n'ont pas été à la hauteur et qui demandent à travailler encore leur jeu. Je voudrais rester dans un esprit positif et ne pas les citer ici, mais ils existent tout de même et je me ferai un plaisir de les pointer du doigt si je m'y trouvais obligé.

Mis à part ces quelques cas isolés, le jeu d'acteur est impecable chez pratiquement tous les acteurs. Comme j'ai l'habitude de le dire, lorsque le scénario est bien écrit, l'acteur déploie mieux son jeu. C'est comme en musique. Plus une chanson est belle, plus la belle voix du chanteur se remarque. Lorsqu'une chanson n'est pas belle, quelle que soit la voix du chanteur, on a toujours l'impression qu'il manque quelque chose.

Comme pour le scénario, je voudrais proposer un top 10 des acteurs qui m'ont fait bonne impression tout au long des cas. Je tiendrai à l'écart de ce classement ceux des anciens dont nous connaissons déjà la maestria, tout en adressant un bravo particulier à Wilson SOBZE qui signe son grand retour, Patrick Oyono qui confirme tout le bien qu'on pense de lui, Roger Brice Sobgo ROS, magistral comme à son habitude, Eric Ebode, le maitre à jouer, comme j'aime à l'appeler et Blanche Domi qui est à mon avis une actrice non reconnue à sa juste valeur.

A côté de ces mastodontes, des jeunes loups aux dents longues qui viennent prouver que le cinéma camerounais a un grand avenir. Je ne saurais donner mon classement sans adresser des félicitations spéciales à Blaise Option qui se positionne désormais comme LE détecteur de talents dont notre cinéma a besoin pour avancer.

Voici à mon avis le top 10 des acteurs les plus impressionants des 12 cas :

1- Stéphanie jordane officiel Ngo Tigbo (Camille, cas 11)
C'est la plus grosse révélation de ces 12 cas. Le fait qu'elle ait fait des films auparavant (apparaissant notamment dans LA NOUVELLE EPOUSE de Marcelle Kuetche) sans se faire remarquer vient prouver à suffisance ce que je disais plus haut : plus le scénario est bon, plus l'acteur déploie son jeu. Et Stéphanie le déploie à la perfection. Bravo petite. Un grand avenir t'attend.

2- Manoella Nguetse (Dorcas, cas 10)
Elle joue à la perfection son rôle de directrice des entreprises de son père. Sa maturité dans son rôle est si naturelle qu'on n'a pas l'impression qu'elle joue un rôle. Félicitations Manoella et bon vent.

3- Tatiana Bayiha (Caroline/Carla, cas 8)
Je parie tout ce que vous voulez que si vous interrogez 100 personnes sur Carla et caroline, 99 vous diront que ce sont vraiment des jumelles dans la vraie vie, tellement la réalisation est impeccable. Et c'est le paradoxe du cinéma : Si vous pensez que ce sont deux actrices, vous trouvez simplement que ce sont deux actrices qui jouent bien, chacune son rôle. Mais lorsqu'on vous dit que ces deux rôles sont joués par la même personne, alors là, vous n'en revenez pas. Comment les réalisateurs ont-il fait ça? Comment peut-elle être si différente et ressemblante en même temps? Le talent, simplement. Et Tatiana Bayiha en a à revendre. Milles bravo et beaucoup de courage

4- Hassan Lindjouom (Franck Obama, cas 4)
Hassan joue tellement bien son rôle qu'on se demande s'il n'est pas vraiment un fils à papa dans la vraie vie.

5- Brice Thomas Dippah (Gabriel Ngueppi, cas 4)
Comme son fils dans le cas 4, Gabriel est d'un natrurel qui force le respect.

6- Nadine Murielle Megong (Léonie, cas 4)
Cette intellectuelle froide et trop intelligente pour son mari donne presque envie d'éviter ces femmes qui ont trop fréquenté, tant elle est bien dans son jeu.

7- Emma Tracy Dayo (Nathalie, cas 7)
Vierge à 25 ans? Cela mérite qu'on se penche sur son cas. Elle dégage une énergie qui donne envie de la regarder jouer.

8- Hermann Minyem Gwet (Roméo, cas 1)
Ce gamin est si naturel dans son jeu qu'on se demande s'il sait même que c'est un film qu'on est en train de jouer.

9- Samirah Montreux (Nancy, Cas 12)
Cette gamine vient pratiquement damer le pion à tous les autres protagonistes, sans efforts particulier. Elle donne vraiment envie d'être protégée et c'est ça qui fait toute la beauté de son jeu.

10- Stiven Essangue (Romaric, cas 7)
Le choix de Romaric par le réalisateur pose un problème. Le fait que son physique et son manque de charisme soient à l'opposé de ceux de sa compagne donne l'impression que cette dernière n'est avec lui que parce qu'il a pris soin d'elle. Stiven joue si bien son rôle que même son attitude fait penser qu'il s'attendait à cette trahison de Nathalie.

En guise de conclusion
Il importe de rappeler ici que la critique d'un film n'est pas une attaque contre ses producteurs. Prendre du temps pour regarder un film et l'analyser ensuite prouve déjà que ce film ne manque pas d'intèrêt.

12 CAS est doute une des séries les plus surprenantes qu'il nous a été donner de regarder et rien que pour cette créativité qui sort de l'ordinaire, Blaise Option méritait un bravo avant qu'on ne se penche sur la série en elle-même. Et lorsque c'est fait, on se dit avec tout ce qui en sort que le cinéma camerounais a un bel avenir devant lui.

Kategorie:
Kunst & Kultur 
Organisation:
Buea Film Academy
Geschrieben von:
Ousmane Stephane
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